15 novembre 2005

Chapitre 4 - Le mariage de ma Cousine

Ce n'était pas la première fois que l'on prêtait notre maison pour un mariage. Si dans d'autres pays comme la France les salles de fêtes étaient de rigueur, au Maroc, elles passaient en dernière option. Cela doit faire maintenant 13 ans qu'on habite notre villa de 2000 m². Ma mère a du être sollicitée plus d'une dizaine de fois. Lorsqu'il s'agit de famille proche, c'est politiquement incorrect de refuser. En demandant la maison à Mme Récamier, on lui confie aussi (et de manière indirecte), la gestion de l'organisation de la cérémonie: A quelle heure le thé devra être servi ? Qu'en est-il des repas ? Doivent-ils être copieux, ou des amuses-gueule suffisent ? Dans quel ordre la mariée devra-t-elle porter les sept tenues qui représentent chaque région du Maroc ? Bref, tout un tas de questions que seule une personne raffinée et expérimentée sera en mesure de gérer.

Mme Récamier a été surnomée Mme Récamier par l'un de ses amis pour sa qualité à recevoir ses convives, à chanter Oum Kalthoum ou à animer des débats et des conférences. Son charme et son naturel comblait ses convives.

Au Rez de chaussé, les musiciens mettaient en place leurs instruments, configuraient la sono et faisaient les premiers tests. Dans la cuisine, au sous-sol, le traiteur préparait verres et couverts, les femmes préparaient et décoraient les plats géants d'amuse gueule qui allaient faire le tour des invités tout au lont de la cérémonie, le chauffeur faisait les derniers allers retour pour chercher les ingrédients manquants à un mariage réussi.

A 21 heures 30, les invités commencaient déjà à arriver. Mes oncles et la mère de ma cousine, tante Naima les accueillaient à l'entrée. Muni de mon camescope, je voulais tout filmer dans les moindres détails. Ce mariage était l'occasion pour moi de revoir tous les membres de la famille. Les convives défilaient, certains avaient disparu de la circulation depuis plusieurs années, d'autres depuis le dernier mariage officiel. Les personnes dans ce cas passaient un peu plus de temps que les autres à congratuler la mère de la jeune mariée, la file de personnes s'allongeait devant la porte d'entrée de la maison.

Les premières musiques annoncaient une soirée réussie. Les fauteuils du salon principal se remplissaient peu à peu. Le clivage entre hommes et femmes se faisait de moins en moins sentir dans les cérémonies modernes de mariage marocain, mais on voyait déjà des communautés qui se formaient. Il y avait le cercle des enseignants et professeurs dans le salon marocain, les hommes d'affaires occupaient le salon en cuir et les femmes se réunissaient sur les fauteuils à fleurs avoisinant la porte d'entrée, lieu stratégique pour épier les entrées/sorties.

Une heure plus tard, il fallait garder sa place pour rester assis. Tous les salons étaient remplis. On ramenait des chaises pour les retardataires, on les plaçait comme on pouvait. Au loin, se rapprochait une mélodie traditionnelle... des voix, des claps de mains, des taarijates, des bendirs, les longues trompettes en cuivre des neffars annoncaient l'arrivée du jeune marié et de sa famille proche. Le bruit se faisait de plus en plus présent, le groupe de musique officiel présent au rez de chaussée finit sa chanson juste avant l'entrée du mari. Tout le monde s'enthousiasmait et s'impatientait de voir comment il était habillé, était-il bien habillé ? est ce que c'est un mec bien pour elle ou est-ce qu'elle est assez bien pour lui ? ... le voyant, ils commencèrent à applaudir en rythme avec le groupe marrackhi qui mettait le feu aux poudres, dans une ambiance dansante et très joyeuse, ponctuée par les youyous des femmes, les jeux de claps collectifs et par les sons des trompettes annonciatrices de l'arrivée du Mari.

C'était le moment de la hdia, ou le cadeau du mari à sa femme. Sur un plateau de bronze orné de coussins blancs et surmonté d'un couvercle sous forme de cloche, on pouvait voir les bijoux que le mari ramenait à sa femme en cadeau... Des bagues ornées de diamants, des boucles d'oreille, un collier, une ceinture dorée et deux louis d'or, héritage du protectorat Français, composaient la Hdia à dounia.

Intimidé par cette mascarade traditionnelle, le mari avait perdu une partie de sa prestance et paraissait gêné de rentrer pour la première fois, dans cette maison qu'il ne connaissait pas et dans laquelle il allait se marier... Il lui fallait le temps de s'habituer à ces nouveaux lieux, prendre ses repères par rapport aux convives qui avaient leurs regards tournés vers lui, et supporter la lumière éblouissante des caméras immortalisant l'évènement... Difficile de sourire avec sincèrité dans ces conditions. Avancant lentement dans l'étroit couloir formé par les sièges ajoutés, sur lequels étaient assis les invités, mustapha se dirigeait vers son “trône”, sa femme allait arriver sous peu...

A peine assis, le groupe marakchi conclut habillement sa prestation, et le groupe de musique officiel enchaina avec la chanson officielle faisant l'éloge du mari.

Quelques dizaines de minutes plus tard, pendant que les musiciens faisaient une pause, on entendit le selam des Neggafates annonciateur de l'arrivée de la jeune mariée. Tel un appel à la prière, cet éloge accapella réclamait l'attention de l'assistance dont le regard se dirigeait vers la porte d'entrée... Les musiciens s'armèrent de leurs instruments, et guettaient patiemment la moment où la mariée franchirait le pas de la porte ... Après quoi ils allaient chanter la célèbre louange à la jeune mariée : "Alf hnia ouehnia ya laalla, Aroussa fel Ammaria, ya lalla !"

La mariée arrivait dans sa Aammaria, un trône orné de brillants surélevé par des porteurs. Les musiciens entamèrent la chanson de la mariée. Cette dernière faisait des signes délicats de la main pour saluer la foule qui l'acclammait, en tentant de garder tant bien que mal son équilibre. Les porteurs étaient élégamment habillés et tels des cavaliers d'antant, étaient équipés du célèbre sabre arabe, le menjel. A la fin de la chanson, ils déposèrent délicatement le trône et la mariée qui étaient assez impatiente de sortir pour rejoindre son mari sur le trône conjugal, au milieu du salon marocain.

Derrière ma caméra, je n'ai rien raté de ces évènements.

Dounia en plus d'être ma cousine préférée, était mon Amour d'enfance. Lorsque j'étais au CP, je lui écrivais des mots d'amour sur des petits papier colorés que je découpais soigneusement en forme de coeur. Tante Naima garde toujours ces petits mots d'amour pleins de fautes d'orthographe, elle m'a dit qu'elle ne les donnerais à ma femme lorsque que je me marierai... inchallah !

Dounia n'a jamais oublié mon anniversaire. Mon premier parfum, mon premier rasoir, et mon premier après-rasage étaient des cadeaux qu'elle m'avait offerts. Bref, on s'adore toujours autant aujourd'hui.

Le mariage marocain est l'occasion de faire des rencontres avec les jeunes célibataires de son âge. C'est l'un des seuls évènements où les filles peuvent “se débrider” en se défoulant dans des mouvements de danse traditionnelle. Que ce soit sur une musique plutot posée, sur laquelle il fallait montrer sa nekhoua ou sa grande prestance ou sur une musique entrainante, chacune des célibataire veut montrer qu'elle est la plus belle femme célibataire de la soirée. Toutes lançaient un même message: “Je suis disponible, viens me cueuillir”. Je me souviens particulièrement de deux soeurs appartenant à la famille maternelle de mon cousin. Ghizlaine et Najoua. Najoua, la plus jeune était venue à la cérémonie avec son fiancé. En discutant avec mon cousin, il me dit que Ghizlaine était plutot jalouse de sa petite soeur qui avait réussi à “décrocher un mari” alors qu'elle était la plus jeune. Pourtant, toutes deux sont jolies, cultivées et très compétentes dans le monde professionnel. Et Ghizlaine avait l'air en recherche, ce qui me confirma les dires de mon cousin.

Cette remarque eut une conséquence sur mon équilibre mental que nul ne pouvait prévoir ... on cherchait à me marier...