18 novembre 2005

Chapitre 2 - Un été avec Ninie

Une relation passionnée est toujours ponctuée par des moments de bonheur intenses, mais aussi des disputes intenses. Et cet été était mémorable.

J'avais réussi à décrocher un stage au sein même de mon école d'ingénieurs, pour un client qui voulait que je lui fasse un site internet dynamique. Le stage était à peine encadré, j'étais libre de choisir mes horaires de travail. Il suffisait de faire 35 heures par semaine, et de livrer le logiciel à temps. Je commençais à 9 heures pour finir à 17h30. Je travaillais beaucoup, parfois le soir, avec Virginie ma copine de l'époque. C'était une femme qui s'interessait beaucoup à ce que je faisais. Elle était naturellement curieuse du fonctionnement des programmes que j'écrivais, des méthodes que j'utilisais pour retoucher les photos et les optimiser. Mieux, ça l'interessait de participer lorsque c'était possible. Ninie m'a accompagné tout au long de mon projet. Et c'est de cette manière qu'elle a travaillé avec moi sur la visite virtuelle du lycée pour lequel je faisait le site. Il s'agissait de créer des vues à 360° de lieux particuliers du lycée (bibliothèque, internat, salle des ordinateurs...), il fallait donc assembler entre elles les photos que j'ai précédemment prises sur les lieux. Après lui avoir fait une formation basique à photoshop, je l'ai lancée sur les rails et elle est devenue très vite indépendante. De mon coté, je conçevais l'architecture des pages du site et je programmais les processus de mise à jour. Vers la fin du projet, on devait “remplir” le site internet en y ajoutant le contenu; c'est elle qui s'en est chargée. Bien entendu, on restait en permanence en contact sur internet grâce à MSN, et donc quelquepart, que ce soit virtuellement ou dans la vraie vie, on était toujours ensemble.

J'ai toujours cherché à reproduire le modèle de mes parents. Il y a quelques années, mes parents on créé la société familiale qui nous a fait vivre. Ils travaillaient ensemble et collaboraient de manière professionnelle, tout en vivant à coté leur vie amoureuse et familiale. Je trouve que c'est un bon modèle malgré ses inconvénients. Et inconsciemment, c'est celui que j'ai cherché à reproduire en voulant impliquer Virginie dans mes travaux.

Après le travail, elle venait me rejoindre à mon école, et on allait directement à la piscine où l'on passait au moins 3 heures jusqu'au coucher du soleil. On avait parfois le temps de bronzer ensemble et de passer du temps en amoureux. A la fermeture de la piscine municipale de Tours, on prennait une douche et on revenait chez elle ou chez moi. Au programme de la soirée plateau Télé ou Boulot devant l'ordi, selon les energies et les motivations restantes en stock. Un jour sur deux, et généralement après minuit, on se mettait au lit, et on faisait l'amour avant de nous endormir douillettement dans notre lit une place.

Ce scénario type a duré pendant pratiquement un mois et demi... jusqu'au 25 septembre. Mais à ce moment là, j'étais loin de me douter des conséquences fatales de ce rythme effreiné combinant boulot, sport et manque de sommeil. A partir du 20 septembre, les choses commencaient à s'accélérer à Tours. Les amis étaient revenus, je ne vivais plus tout seul avec Ninie, le jour de la soutenance facultative (mais que j'ai personnellement demandée de faire) approchait à grands pas. A mon grand malheur, le surmenage me gettait.

Parallèlement, j'avais quelques formalités à régler. Un ami m'avait vendu une voiture qu'il avait rammenée pour moi d'Allemagne. Mais j'ai eu beaucoup de problèmes administratifs à cause du fait qu'elle ne soit pas conforme à la norme française. La voiture avait toujours une immatriculation temporaire allemande, et une assurance française périmée. Administrativement, j'étais devant une situation de blocage: je ne pouvais ni l'assurer, ni circuler avec. La procédure voulait que j'emmène à la DRIRE pour la faire certifier aux normes française. Une fois que j'aurai obtenu le certificat de conformité, je pourrait obtenir une carte grise française après quoi je pourrai l'assurer et avoir l'autorisation de circuler avec. Je m'étais mis d'accord avec Khalid pour qu'il viennes à Tours et qu'il m'aide à effectuer ces formalités car la malchance a voulu que le jour où je devais présenter ma voiture à l'organisme de certification était aussi le jour de ma soutenance à l'école !

Khalid et ma mère ne s'entendent pas du tout. Le désaccord a été tel que ça a failli dégénérer à plusieurs reprises. Il lui a proféré des insultes et des menaces par e-mail, et ma mère le considérait comme un ennemi de la famille qui pourrait un jour nous chercher du mal. Pour elle, un jour ou l'autre, il se vangerait sur ce qu'elle a de plus cher au monde, sa progéniture. Je voyais cette attitude comme de la pure paranoïa, mais je n'ai sérieusement commencé à me méfier de ce singulier personnage qu'après avoir appelé ma mère pour lui annoncer ce que je m'appretais à faire. Sa réaction a été à la fois violente, immédiate et terrorisante. Je sentais qu'elle vait perdu le souffle, comme si je venais de révéler qu'un de mes frères s'était suicidé. Telle une louve qui cherchait à protéger ses louvetaux devant un prédateur plus fort, ma mère était impuissante de pouvoir agir car elle était à 2000 km de ses enfants qu'elle pensait en danger.

La réaction de ma mère a peut être beaucoup joué dans ce qui allait se passer par la suite, mais je ne lui impute aucun reproche et je n'ai aucune rancune la concernant.

Khalid est venu un soir, la veille du jour J, vers 21heures. Dans sa mercedes flambante neuve, on s'est rendus chez les Bernabé (des amis à la famille) chez qui j'avais laissé ma voiture pendant l'été. Une image m'a traversé l'esprit à ce moment là. Quelqu'un de mon école qui me verrait dans une voiture comme ça pouvait penser que je suis impliqué dans un réseau de traffic illégal. C'était ma première pensée paranoïque... première pensée d'une longue série...

Après avoir gentillement sociabilisé avec les Bernabé, on s'est excusé et on est repartis en deux voitures. Ninie était avec nous. En route pour la DRIRE! Je n'avais pas le droit de circuler dans ma clio et pourtant, on a couru le risque d'aller faire passer la nuit à cette dernière à coté des locaux où elle se ferait certifier le lendemain. Heureusement, le convoi s'est passé sans encombre, mais mon pic d'adrénaline a eu lieu lorsqu'on a croisé une voiture de police dans le quartier le l'établissement en nous y rendant.

Après un bon sandwich chez le Grec du coin, on est revenus à la residence étudiante pour passer la nuit. Mais la nuit n'était pas encore finie. On a continué à discuter sur la stratégie à adopter le lendemain, et la répartition des tâches pour que tout se passe dans les meilleures conditions. On a fini par aller au lit vers 3h30 du matin.

Le stress n'en finissait pas de monter quelques heures plus tard... Depuis plusieurs jours, je n'avais plus d'appetit, je demandais à Ninie de me faire repas les plus “liquides” possibles. Et même la purée avait du mal à passer. Mon assiette à peine entammée, j'avais envie de vomir et je m'arrêtais immédiatement.

Ma mère m'appelait de plus en plus régulièrement ... elle sentait que quelquechose allait mal, alors je lui ai tout avoué sur ma peur. Désarmée, et ne sachant pas quoi faire, ma mère a pour fâcheuse habitude de faire du bruit autour d'elle pour avoir le maximum de soutien possible. Quelques heures plus tard, j'ai parlé avec une psychologue reconnue au Maroc, qui a tenté de me rassurer, de calmer ma “folie naissante”. On m'a conseillé de bien manger et de prendre une douche bien chaude pour me relaxer, mais c'était bien évidemment plus facile à dire qu'à faire. La douche était un remède dont l'effet cessait lorsque je finissait de me sécher.

Pour moi, tous les professeurs savaient que j'étais l'auteur du site parodique (moustacho), et que c'était l'occasion rêvée pour eux de m'humilier publiquement. Pour moi, non seulement tous les profs seront présents à ma soutenance, mais ils feront tout pour me démontrer mon incompétence et ce, quelquesoit la qualité de ma prestation. Auparavant, mon encadrant de stage avait envoyé un mail à tous les professeurs pour les informer de l'évènement qui se préparait pour l'après midi.

De mon coté, j'avais préparé quelques soutiens : J'ai invité Ninie, mais aussi mes 2 frères Karim et Omar à assister à la présentation que je me préparais tant bien que mal à faire. Je me suis mis en costard-cravate, rasé, j'étais un peu malade et fragile, mais il fallait absolument que j'occulte toutes ces faiblesses. Quelques semaines plus tôt, le directeur de l'école d'ingénieur m'avait fortement invité à faire un travail impécable car ça allait avoir des conséquences sur les relations qu'il entretenait avec le nouveau président de l'université. Ma cliente était sa femme, et il fallait absolument qu'elle soit comblée.

Je suis arrivé sur place une demi-heure avant pour me laisser le temps de me préparer psychologiquement. La présentation avait lieu dans la meilleure salle de l'école. Cette salle était équipée d'un système Hi-tech prenant en charge la présentation sur écran géant, la sonorisation haute fidélité, mais aussi un système de caméras perfectionné prenant en charge l'enregistrement de l'intervenant et la diffusion des présentations sur tous les écrans de l'école. Pendant ma prestation, toute personne présente dans le batiment pouvait voir et entendre ce qui se passait dans cette salle, ce qui ajoutait un stress supplémentaire. Après avoir configuré l'ordinateur et lancé le premier slide de ma présentation, j'ai commencé à faire les cent pas afin de préparer le langage non verbal qui accompagnera mon exposé. Mais je remarquais que la caméra suivait mes mouvements. Lorsque je bougeait à droite, l'objectif se déplacait en même temps. Je me sentais épié. Quelqu'un controlait-il la caméra à distance ? Je m'imaginais que le directeur était présent derrière son écran de contrôle, analysant mon attitude, essayant de deviner ce qui n'allait pas chez moi ce jour là, et priant pour que ma préstation soit convainquante face au client. Mais non ! Tout était automatique! La caméra était munie d'un detecteur de mouvements. Elle était programmée pour suivre les mouvements du présentateur ainsi que ce qui s'affichait sur l'écran géant derrière lui. L'intervenant technique qui m'avais aidé à configurer le site pour qu'il fonctionne sur l'ordinateur de présentation venait me voir de temps en temps. Le stress se lisait sur mon visage. Il a tenté de me calmer et de me rassurer. Il n'arrivait pas à croire que le travail que j'étais en passe de présenter avait été fait en moins de douze semaines.

Un peu plus tard, mes convives étaient venus. J'avais équipé Omar de la caméra numérique que je venais d'acheter sur Internet. J'avais demandé à mon encadrant si c'était possible que je me fasse filmer afin de m'analyser par la suite et de me permettre de perfectionner mon oral. Virginie était ravissante et mes deux frères bien habillés aussi. Mais ce n'était pas mes clients... Quelques minutes plus tard, mes examinateurs se sont présentés. Ils étaient cinq. Ma cliente, la directrice du lycée, mon encadrant, et trois autres professeurs que j'avais fréquentés lors de mes allers retours tout au long de la conception de la solution internet. Je me sentais plus rassuré, car aucun autre prof qui pouvait m'envouloir n'était là.

Bizarrement, la présentation s'est très bien passée. Je ne cherchais pas mes mots, j'étais de plus en plus fier de mon travail au fur et à mesure que je le présentais et je sentais que mes auditeurs étaient intéressés par ce que j'étais en train de leur exposer. Des fonctions exhaustives prenaient en charge des fonctionnalités insoupconnées voire inédites; les vues à 360° des principaux lieux du lycée ont beaucoup plu... Vues sur écran géant, on s'y croyait. Le feedback était positif. Mon exposé a duré 45 minutes. Aucune contrainte de temps n'avait été précédemment négociée, j'ai pu donc insister sur tous les aspects fonctionnels de ma réalisation. Vint alors le moment des questions/réponses. J'ai ouvertement demandé si quelqu'un avait une question, et durant la première minute qui suivait, personne dans la salle n'osait parler. J'allais donc remercier tout le monde quand la directrice prit la parole. Les questions étaient banales, mais je sentais que mes clients tournaient autour du pot pour me dire quelquechose... une demande particulière était en préparation.

La directrice me demanda:
- Donc on admire votre travail, ca a l'air d'être un site internet qui correspond à nos besoins, et apparemment il nous est possible de le mettre à jour sans avoir besoin de compétences techniques, mais nous aimerions que vous assuriez quelques séances de formation.
-
Euh ... oui ... répondis-je ... mais Gratuitement ?

Après avoir dis cette phrase, j'osais soutenir son regard pendant trois secondes en souriant. Elle baissa timidement la tête esquissant un sourire gêné ... j'ai alors enchainé:
- En fonction de mon emploi du temps de la rentrée, j'essayerai de passer dans votre lycée pour assurer les formations, ca ne me pose pas de problème.

Biensur, pour moi il était hors de question que je me déplace pendant plusieurs après midis pour assurer, gratuitement de surcroit, des formations alors que je me dois de faire des révisions pour ne pas rater ma dernière année !

Cet évènement m'a fait oublié ma psychose naissante pendant toute la durée de la présentation, mais dès que je suis sorti de l'école, la pression avait redoublé. Je me sentais de plus en plus oppréssé par une phobie. Comme si j'étais sur qu'une punition quelconque allait tomber alors que objectivement, rien ni personne n'avait de bonne raison de me punir ... sauf dieu peut être ? Avec le recul, et après analyse, je me rends compte qu'avant la présentation, j'attendais une punition. Cette dernière n'étant pas tombée, j'étais toujours en train de l'attendre.

J'ai annoncé à Virginie mon envie de rentrer au Maroc en urgence pour me reposer, car s'il devait m'arriver quelquechose, je préfèrerais encore que ma mère soit à mes cotés. Je cherchais une bonne raison qui pouvait justifier mon départ un peu surprenant, alors qu'on était à 10 jours de la rentrée scolaire. Quelques jours plus tôt, ma cousine m'avait appelé pour m'annoncer son mariage qui devait avoir lieu fin septembre. J'ai jugé que cette raison n'allait pas être valable alors j'ai osé me justifier à mon école avec le fait que ma mère était malade et que je devais absolument rentrer au Maroc.

Lorsque j'ai essayé d'expliquer les raisons qui m'on poussé à prendre cette decision de partir en vacances, mon encadrant m'a immédiatement coupé, il ne cherchait pas spécialement à en savoir plus.

Ma mère avait effecuté une reservation le jour même, il me suffisait de me rendre à l'aéroport de Paris.

Une chance, Khalid n'avait pas encore quitté Tours, il pouvais m'y accompagner en voiture...